Science politique et recherche internationale : la frénésie des grandes conférences !
L’European Consortium for Political Research (ECPR) organisait en septembre dernier sa grande messe annuelle à la Charles University, à Prague. La chercheuse postdoctorante Adélie Chevée de l’Institut SoMuM/Mucem revient sur son expérience et les bénéfices que les jeunes chercheuses et chercheurs peuvent tirer de ces rendez-vous académiques.
Qu’est-ce que l’ECPR ?
Adélie Chevée : Comme pour la plupart des disciplines, la recherche en science politique n’est pas cloisonnée au territoire national mais se veut un monde de plus en plus internationalisé : les chercheurs voyagent, désireux de comparer des terrains éloignés, de faire connaître leur recherche ou simplement de tester leurs approches et résultats auprès de leurs pairs. C’est le rôle des organisations scientifiques régionales et internationales. Elles créent des groupes de travail, financent des petits terrains, publient des revues et, ce qui nous intéresse ici, organisent leurs grande messe (bi)annuelles : les conférences générales.
L’European Consortium for Political Research est l’organisation de référence en matière de recherche en science politique en Europe. Fondée en 1970, elle a été créée par un groupe de douze universités européennes fondatrices, pour atteindre aujourd’hui plus de 300 membres institutionnels dans près de 50 pays, ce qui représente une communauté de dizaines de milliers de chercheurs. Cette année, la conférence annuelle était à Charles University à Prague, et nous étions plus de 2000 participants !
Quand conseillerais-tu à une jeune chercheuse d’assister à une conférence internationale ?
A. C : L’ECPR n’est pas la seule organisation liée à la science politique. Il existe aussi des organisations régionales ou internationales, organisées par discipline (APSA, ISA), sous-discipline (AFPP pour les mouvements sociaux) ou aire géographique (BRISMES, WOCMES, BASAS…). On note une certaine prépondérance des organisations des pays du Nord Global, avec les organisations américaines en tête, ce qui pose bien entendu la question de la capacité de participation des chercheurs des pays des Suds.
Mon conseil est d’assister à au moins une de ces conférences à un moment de sa formation doctorale. Il y a plusieurs avantages. Tout d’abord, on y apprend à parler de sa recherche à un public plus « large » que les spécialistes de sa thèse, et donc à en identifier les enjeux en termes de contributions générales. Ensuite, on tisse des liens avec des chercheurs et des universités auxquels on n’aurait pas pensé. Enfin, c’est une expérience internationale, une dimension importante pour se construire un CV académique aujourd’hui. Mais c’est loin d’être suffisant. Se rendre à la grande conférence parce qu’elle semble si importante peut être un peu décevant d’un point de vue théorique, car ce qui compte avant tout c’est de prendre le pouls de ce qui se fait ailleurs ; le retour des discutants ou les questions du public ne seront pas aussi pointues que dans un séminaire doctoral ou un colloque spécialisé. On vous demandera plutôt d’expliciter votre problématique, d’élaborer sur les méthodes, ou ce que vous pensez de tel ou tel sujet d’actualité… Pour avoir un retour sur le fond, il faut aller aux conférences ou colloques spécialisés.
L’ECPR est aussi marquée politiquement, c’est-à-dire dans ses préférences méthodologiques, théoriques et politiques – sinon ce ne serait pas une association de science politique ! (Il n’y a qu’à revoir la Keynote Lecture donnée cette année à Prague par Maria Popova, Associate Professor à L’Université McGill et intitulée “Ukraine is Europe: Lessons for Europe and for Political Science”). À l’ECPR, on y trouve plutôt la science politique issue des traditions établies : politique comparée, sociologie politique, grands paradigmes des relations internationales, avec une préférence pour les approches positivistes et les méthodes quantitatives. Cela se reflète dans les revues publiées par l’ECPR comme la prestigieuse European Political Science Review (EPSR). Bien que je ne sois pas rattachée à ces approches, c’était très utile pour moi d’y assister, car j’ai pu parler de ce que peut apporter l’ethnographie à un sujet jusqu’ici traité seulement avec des entretiens semi-directifs ou des analyses corrélatives. Et puis j’ai aussi compris ce qui intéressait les autres chercheurs, les grandes questions qui reviennent régulièrement – et donc aussi identifier les questions absentes.
Qu’as-tu présenté à la Conférence de l’ECPR 2023 ?
A. C : Suite à une candidature en février 2023 (attention il faut s’y prendre longtemps à l’avance !), l’ECPR a accepté ma participation pour deux présentations orales. Afin de préparer mes abstracts, j’avais fait attention à relier le sujet de ma recherche à celui du groupe faisant l’appel à contribution. L’abstract a ainsi plus de chances d’être sélectionné. Mais ne perdez pas espoir si vous êtes rejetés – un de mes abstracts avait été rejeté l’année passée ! J’ai décidé de présenter deux communications, chacune répondant à des stratégies différentes. L’une était liée à un projet sur lequel je démarrais, l’autre à communiquer à propos d’une recherche plus aboutie.
La première communication visait à présenter un nouveau projet de recherche sur la participation de la société civile syrienne aux mécanismes de justice transitionnelle. J’ai parlé de l’archivage numérique et des pratiques artistiques d’exilés syriens autour des procès pour crimes contre l’humanité qui ont eu lieu récemment en Allemagne et dans d’autres pays européens. Mon objectif, c’était de rencontrer des intermédiaires pour élargir mon terrain, de recevoir des conseils pour élaborer le projet de recherche, et d’affiner mes méthodes. Je suis plutôt spécialiste des mouvements sociaux – autant dire que la justice transitionnelle est donc une nouvelle sous-discipline pour moi… Aller à la conférence de l’ECPR m’a permis de me familiariser à ce champ d’étude. La présentation faisait partie d’une série de huit panels du Standing Group on Human Rights and Transitional Justice : comme nous étions souvent les mêmes à assister aux panels de ce groupe, une discussion s’est créée entre nous pendant et après les panels, et des idées de publications communes ont surgi.
La seconde communication présentait un article en cours d’écriture sur le rapport à l’expertise dans les assemblées citoyennes, et était liée au Standing Group on Democratic Innovations. Ma stratégie ici n’était pas exploratoire mais communicative, car c’était une recherche aboutie, que je connaissais bien. J’annonçais un article, des résultats, pour les communiquer en amont de la publication.
Ces communications s’insèrent dans des groupes de travail de l’ECPR (les “Standing Groups”) comportant chacun une dizaine de panels répartis sur la semaine. J’avais donc la possibilité pendant toute la semaine d’aller écouter les personnes qui m’avaient écouté, soit dans le groupe dédié à la justice transitionnelle, soit dans celui dédié aux innovations démocratiques. Et j’en ai profité pour aller écouter les collègues travaillant sur les mouvements sociaux. En assistant aux présentations, en participant activement en posant des questions, c’est là qu’on commence à avoir des conversations intéressantes.
Des conseils ?
A. C : Attention, ces conférences demandent beaucoup de temps de préparation. Les appels à candidature sont souvent près de six mois à l’avance. Par ailleurs, elles coûtent cher ! Même si les doctorants bénéficient d’un statut étudiant qui réduit les frais d’inscription, il faut demander à son université de couvrir les frais pour devenir membre, les frais d’inscription à la conférence, le voyage et l’hébergement, pour une conférence qui dure souvent plusieurs jours. Les demandes de financement sont validées longtemps à l’avance par les laboratoires. Commencez l’année en identifiant la conférence internationale qui vous intéresse et les dates finales pour les demandes de financement. L’ECPR a un petit fond pour financer certaines présentations, mais il est très limité.
Quelques autre conseils :
- Planifier le financement bien à l’avance – et donc choisir la conférence la plus pertinente.
- Préparer un PowerPoint simple, qui reprend les grandes lignes du projet (question, méthode, résultats), et s’entraîner à respecter son temps de parole. Le public s’endort vite devant des slides remplis de gros paragraphes de littérature…
- Ne pas TOUT dire dans son PowerPoint, comme son argument-clef ou son idée géniale – autant garder ça pour la publication…
- Être volontaire pour être chair (présidence) ou discutant : on apprend plus et on rencontre plus de gens. L’ECPR suggère quelques bonnes pratiques très utiles. Soyez attentifs aux inégalités de prises de paroles si vous êtes chairs.
- Profiter des nombreux événements organisés autour de la conférence : discuter avec les éditeurs à leur stands, leur parler de votre thèse et d’une stratégie de publication ; assister aux Keynote lectures ; participer aux business meetings des groupes pour comprendre où sont les possibilités de financement ou d’organisation d’événements communs.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Adélie Chevée (23 octobre 2023). Science politique et recherche internationale : la frénésie des grandes conférences ! Sociétés en Mutation en Méditerranée. Consulté le 5 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/ugkj